26 Octobre 2017

A qui appartient l’espace : l’esprit des lois

A l’heure où l’espace fait autant rêver le grand public que les investisseurs, où les prises de paroles des grands acteurs du secteur succèdent aux conférences sur l’exploitation minière des astéroïdes, le CNES donne la parole à ses experts.
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La Terre vue de l'espace Crédits : iStock / Getty Images Plus/Nastco

Jacques Arnould, expert pour les questions éthiques, Philippe Clerc, sous-directeur affaires juridiques et Julien Mariez, chef du service juridique entreprise au CNES tentent de répondre à la question complexe « à qui appartient l’espace ? »,  au regard des grands jalons juridiques de l’histoire et de l’évolution éthique et commerciale de l’exploration spatiale. Décryptage.

L'espace, l'ONU, la France et les lois

Philippe Clerc : Pour bien comprendre la situation actuelle en France, il faut considérer d’une part: les traités internationaux de l’ONU des années 1960-1970 qui fixent les grands principes du droit  de l’espace entre les Etats et d’autre part la LOS (Loi relative aux Opérations Spatiales) de 2008 qui décline ces engagements entre l’Etat français et les opérateurs privés concernés.

Côté ONU, on dénombre 5 grands traités qui couvrent les principes suivants : liberté d’accès à l’espace et de son utilisation à des fins pacifiques, non appropriation par les Etats de la Lune et des corps célestes, absence de juridiction territoriale des Etats sur ces espaces, sauvetage des astronautes en cas de détresse, responsabilité des Etats vis-à-vis des victimes des dommages causés par les objets spatiaux au sol et en orbite, autorisation et surveillance continue par les Etats des opérations spatiales effectuées par leurs ressortissants privés et enfin immatriculation des objets spatiaux.


Julien Mariez et Philippe Clerc Crédit : Legiteam

 Entre les années 1960 et 2008, la dimension juridique du domaine spatial était gérée par les agences spatiales nationales de façon contractuelle, comme en témoigne le cadre juridique mis en place au Centre spatial guyanais avec l’ESA et Arianespace. Le passage à une législation proprement dite (via la LOS ndlr) qui encadre de façon uniforme ces activités, est ensuite devenu incontournable avec la montée en puissance d’acteurs privés. 

Philippe Clerc, sous-directeur affaires juridiques au CNES

Quand juridique rime avec éthique

Jacques Arnould : Cette législation spatiale envoie le message fort que l’espace n’est pas hors la loi. L’esprit pionnier des traités, qui prône en particulier le libre accès à l’espace et sa non-appropriation,  mérite d’être appliqué, comme le fait la LOS, mais aussi entretenu et défendu.

Pour autant, nous avons la volonté de faire mieux, de nous projeter dans l’avenir. Les technologies spatiales ont déjà largement contribué à la construction d’un « village global », d’un village planétaire.

 Nous devons nous interroger désormais sur le futur de l’espace, sur la manière dont nous voulons collectivement (ou individuellement) utiliser ses ressources. Peut-être faudra-t-il faire évoluer l’esprit des lois ? 


Jacques Arnould. Crédit : CNES

LOS et exploration minière des astéroïdes

Julien Mariez : Aujourd’hui, la LOS n’est pas réellement dimensionnée pour régir ce type d’activité. En effet, les textes en vigueur n’appréhendent, ni l’atterrissage, ni les activités sur un corps céleste et encore moins les questions humaines dans l’espace, que ce soit d’un point de vue technique ou juridique.

Ainsi, il faudrait compléter la LOS si des opérateurs français voulaient se lancer dans ce « business ». Mais cette problématique de l’exploitation des ressources devrait d’abord être traitée au niveau international pour parvenir à un même cadre opposable à tous. 

On remarque cependant que la faisabilité juridique pose problème aujourd’hui : la communauté spatiale est divisée sur la légalité de cette marchandisation des ressources spatiales, au regard des traités internationaux, même si certaines nations s’y lancent de façon unilatérale. Face à cette situation, la position de la France est claire : il faut traiter cette question au niveau international avant d’envisager un encadrement des opérateurs au niveau de chaque pays.

Le rôle du cnes

Le CNES occupe un rôle moteur dans ces réflexions juridiques car il possède l’historique, la compétence et la confiance de ses partenaires et des ministères concernés en France. De plus, il participe à un groupe d’étude sur l’appropriation des ressources spatiales (voir encadré) qui réunit les plus grands experts internationaux sur la question. A suivre donc !

Se poser les bonnes questions

P.C : De toute façon, toute exploitation minière dans l’espace devra respecter les règles existantes de protection planétaire qui visent à isoler l’environnement concerné de toute contamination. Elle devra aussi se garder de générer des conflits en remettant en cause le principe d’interdiction d’appropriation territoriale, bien ancré dans les traités de l’espace.

Par ailleurs, La différence entre les ressources renouvelables, libres d’exploitation par nature, et celles non renouvelables et sujettes à restriction peut se poser juridiquement mais n’a pas été pris en compte jusqu’alors dans les traités liés à l’espace.

J. A : Ce sera l’occasion de nous demander : « En fin de compte, que voulons-nous ? »

Nous ne manquons pas d’astéroïdes mais nous n’avons qu’une seule planète Terre. Bref, la question des astéroïdes nous conduit à celle de la manière dont nous gérons nos biens communs.

L’espace est le miroir de ce qui se passe sur Terre : les intérêts nationaux ressurgissent, mais les Etats sont soucieux de ne pas générer de guerre de l’espace (contexte de Guerre Froide des 1ers traités ndlr). La préservation de la paix est importante, car si nous procédons de manière anarchique, nous risquons vite de tomber dans des biais belliqueux. En bref, c’est une véritable mise en question de nos pratiques et ça c’est profondément éthique !

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The Hague Space Resources Governance Working Group Crédits : International Institute of Air & Space Law

Le CNES fait bouger les lignes à l’international

Le CNES est membre depuis l’automne 2015 d’un groupe de réflexion nommé The Hague Space Resources Governance Working Group. Constitué par le gouvernement néerlandais, il est composé d’experts du spatial émanant de différentes parties prenantes (universités, agences, industriels, représentants de gouvernements…) et possède une forte dimension prospective.
Malgré des divergences en fonction des pays d’origine, de l’appartenance au domaine public ou privé, son projet est de diffuser à l’international des pistes de réflexion pour alimenter le débat autour de l’exploitation des ressources spatiales.

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